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Des vers de terre destructeurs de l’habitat

Phil Reilly

« Les vers de terre sont nos amis » est un adage répandu et convenu des jardiniers. Les horticulteurs et les agronomes n'accordent habituellement pas de propriétés négatives aux vers de terre. À ma connaissance, les golfeurs constituent le seul groupe d'individus qui les détestent foncièrement. Ceux-là, dans leur quête sans fin du meilleur résultat personnel, enlèvent obsessivement tous les turricules des verts méticuleusement entretenus et tondus quotidiennement.

Les jardiniers se sont longtemps fait dire de faire du sol de leur pelouse et de leur jardin un paradis pour les vers afin d'optimiser le développement des racines et, en bout de ligne, d'optimiser la croissance de leurs plantes. Les turricules sont vus comme une preuve de l'atteinte du Saint Graal du jardinage : un sol riche en vers.

Fine Gardening, une source réputée en matière de jardinage, a récemment publié un excellent article (février 2005) portant aux nues les avantages d'avoir des populations prospères de vers de terre dans la terre de son jardin. Les jardiniers s'y faisaient rappeler que les vers de terre, en digérant les matières végétales non dégradées, accélèrent la libération des nutriments nécessaires aux plantes en croissance. Les myriades de galeries créées par les vers de terre permettent d'aérer la terre, ce qui facilite l'échange d'oxygène et de dioxyde de carbone avec la surface. Dans le milieu du commerce d'horticulture, plusieurs nouvelles entreprises à l'échelle industrielle ensachent des turricules certifiés purs et du lombricompost municipal adaptés aux besoins des particuliers.

Toutefois, malgré toutes les propriétés positives encourageant les pratiques de jardinage qui accordent une grande place aux vers de terre, une préoccupation émerge dans le milieu forestier.

J'ai été sensibilisé aux effets négatifs des vers de terre sur les écosystèmes forestiers un soir, lors d'un souper-partage d'une réunion d'un club de jardinage. Un réputé conférencier invité, qui nous entretenait des difficultés à établir des plantes alpines dans des jardins créés dans des talus d'éboulis (gravier), a mentionné que les vers de terre sont absents des écosystèmes alpins. Il supposait qu'ils devaient perturber les systèmes radiculaires des délicates plantes alpines. C'est sa réflexion suivante, quasi accidentelle, qui a suscité mon intérêt : « On accuse aussi maintenant les vers de terre de détruire certaines forêts d'Amérique du Nord », a-t-il dit.

Je dois admettre que j'ai sourcillé en entendant ces mots. J'avais en main un verre de vin presque vide, un estomac bien rempli grâce à une table merveilleusement garnie par des cuisiniers accomplis, et j'étais dans une pièce remplie de jardiniers s'échangeant des « Saviez-vous que...? ». Je me suis demandé de quoi il retournait au juste!

Mon intérêt pour cette intrigante histoire de vers était accru par une expérience de ma jeunesse; j'ai en effet contribué à acheminer des vers de terre dans certaines régions forestières. Dans les années 1950, en plus de passer un grand nombre d'heures à pêcher dans les lacs du sud de l'Ontario, je ramassais des lombrics communs que je vendais aux pêcheurs. Ma contribution éventuelle à la décroissance de certaines forêts, du fait des vers non utilisés qui ont pu être jetés dans les bois à la fin des sorties de pêche, a été sans conséquence compte tenu de l'époque et de la quantité, j'en suis certain – compte tenu du moins des résultats financiers de mon entreprise!

Peu après, mon ami jardinier professionnel m'a transmis ses liens Internet vers l'univers des vers. Des faits géologiques et écologiques sur les vers m'ont été révélés comme sortis d'une boîte de Pandore!

Du point de vue géologique, mes recherches Internet subséquentes m'ont révélé que l'érosion glaciaire a transporté de la terre à partir d'une grande partie des provinces et des états du nord de l'Amérique du Nord vers le sud. Ça, je le savais déjà. Mais je n'avais jamais pensé aux populations de vers de l'époque préglaciaire qui ont été déplacées en même temps que cette terre, laissant des environnements dépourvus de vers dans lesquels les forêts futures allaient se développer. La formation de la terre et les migrations des vers de terre vers le nord s'effectuent lentement du point de vue géologique et, jusqu'à l'arrivée des premiers colons, les sols nordiques postglaciaires et les arbres colonisateurs se sont développés en harmonie, sans vers de terre. Les écosystèmes forestiers en évolution se sont adaptés à la lente formation de la terre et à la lente libération des nutriments provenant de la décomposition de la végétation dans une terre plutôt froide.

Avec l'arrivée des premiers colons, les vers de terre se sont rapidement retrouvés dans les écosystèmes septentrionaux. Ces colons et leurs descendants, autant de façon volontaire (pour l'amélioration des pratiques agricoles) qu'involontaire (dans la terre utilisée comme lest de navires) ont importé des vers de terre en Amérique du Nord. Des pêcheurs et moi-même avons également contribué, plus récemment, à la nouvelle distribution des vers de terre.

C'est ici que le passage du temps et la perpétuation des vieilles habitudes entrent en jeu. Traditionnellement, les populations de vers du sol des forêts nordiques n'ont guère été étudiées. L'étude de la composition changeante des forêts n'était pas un enjeu prioritaire de recherche. Toutefois, Internet révèle que des chercheurs des domaines de la foresterie et de l'écologie commencent à sonner l'alerte. Ils indiquent que, de plus en plus, les sols des forêts du nord où il y a plein de vers de terre conviennent mieux à la croissance d'arbres et d'arbustes non indigènes. Avec la plus grande quantité d'air riche en oxygène qui pénètre la couche d'humus par les galeries créées par les vers de terre, les matières organiques accumulées au fil des siècles disparaissent plus rapidement qu'elles se développent. Dans certains cas, il ne faut qu'une décennie pour éliminer des matières organiques résultant d'un processus de milliers d'années. Le sol des forêts se compacte, il devient plus riche en nutriments et il se réchauffe en raison de la présence des vers de terre. Tout comme dans les régions agricoles, le sol des forêts se transforme – et pas pour le mieux en ce qui a trait à la composition historique des forêts.

Dans les zones de chalets, les jardiniers ne se doutent pas qu'ils contribuent à ce changement accéléré de l'écologie forestière en important des arbres, des arbustes et des plantes de jardin non indigènes pour personnaliser leurs refuges estivaux. Cette importation de plantes, qui implique des échappées non intentionnelles à l'extérieur des lieux de culture et l'introduction de types de pollens, menace la survie des plantes indigènes des régions boisées. Ainsi, le fait de choisir des plantes indigènes pour les terrains situés sur les rives des lacs peut contribuer à maintenir les écosystèmes traditionnels des forêts.

Malheureusement, en tant que propriétaire d'une pépinière, je n'ai toujours pas assisté à une conversion des jardiniers aux espèces indigènes quel que soit l'endroit où ils destinent leurs plantes – à plus forte raison sur des rives de lacs isolées et boisées. Nous encourageons tous les jardiniers à accepter le rôle qui leur incombe dans le maintien des plantes indigènes nécessaires aux oiseaux et animaux indigènes qui dépendent de la forêt. Comme pêcheurs, nous ne devrions pas jeter cavalièrement dans les bois nos vers non utilisés comme appâts ou le contenant ayant servi à leur transport (il pourrait contenir des oeufs de vers viables). Les vers non utilisés que nous avons apportés dans des régions reculées, de même que les contenants et la terre servant à leur transport, devraient être rapportés en zones urbaines où ils pourront être incorporés au compost ou aux jardins déjà occupés par les vers de terre.

Lectures complémentaires

Les ressources en ligne suivantes, en anglais, permettent de découvrir davantage la biologie des vers de terre et les recherches qui examient leurs effets sur le sol des forêts.

Society for Conservation Biology, « Non-native Earthworms may be Wiping Out Rare Plants », Conservation Biology, décembre 2002, http://conbio.net/SCB/Services/tips/2002-9-December.cfm#A3.

Jennifer A. Ramsay et Stuart Hill, « Earth Worms: The Agriculturalist's Friends », Macdonald Journal 39 (10), 6 au 8 octobre 1978, http://www.eap.mcgill.ca/publications/eap6.htm.

Depuis 21 ans, Phil Reilly et sa famille exploitent une pépinière spécialisée, Reilly's Country Gardens, à l'extrémité ouest d'Ottawa. Leur pépinière dispose d'une acre de jardins de démonstration comptant plus de 1 800 variétés de vivaces. Dans leurs jardins de démonstration, ils utilisent des techniques biologiques de jardinage (et préconisent leur utilisation). Leur jardin personnel a été certifié dans le cadre du programme de certification Habitat arrière-cour de la FCF.

Vous pouvez visiter le www.rcgardens.ca (en anglais) pour consulter des fiches d'information sur le jardinage (y compris l'utilisation de plantes indigènes au jardin) et des photos des spécialités de cette pépinière : des pivoines, des hostas, des graminées ornementales et, depuis 2005, des plantes aquatiques.