Sara Chesiuk
Il s’avère que les tortues et les alligators ne sont pas les seuls animaux de notre époque à avoir été également contemporains des dinosaures. Les libellules et demoiselles, qui font partie de l’ordre d’insectes des odonates, zonzonnent depuis plus de 300 millions d’années. Et leur diversité est impressionnante : l’ordre compte plus de 5 000 espèces dans le monde, dont 650 ici même dans les milieux humides de l’Amérique du Nord.
Il y a actuellement 145 espèces de libellules et de demoiselles dans le Canada atlantique; il s’agit ainsi d’une région convenant très bien à l’étude de leur diversité et de la situation qui les caractérise. La Fédération canadienne de la faune a accordé une subvention de 4 815 $ à M. Donald McAlpine, conservateur chargé de recherches et directeur de la section de zoologie du Musée du Nouveau-Brunswick, qui a mis sur pied une équipe de spécialistes et de bénévoles dans le but de recenser et de suivre les libellules et demoiselles de la zone naturelle protégée de la Gorge de la rivière Jacquet, au Nouveau-Brunswick. Comme ces insectes habitent des eaux non polluées, les résultats seront un bon indicateur de la biodiversité et de l’état général des milieux humides canadiens.
Eau, libellules et demoiselles
De la gestation à leur stade adulte, on trouve les demoiselles et libellules dans l’eau ou près d’elle. Elles déposent leurs œufs dans des plantes aquatiques ou directement dans l’eau. Après l’éclosion, les individus de nombreuses espèces passent la plus grande partie de leur vie sous l’eau, à leur stade nymphal, se nourrissant alors de larves de moustiques, d’insectes aquatiques et de vers; il y en même qui mangent des têtards et de petits poissons! Comme le régime alimentaire des libellules et des demoiselles ne change guère une fois qu’elles sont adultes (lorsque leurs ailes se développent), elles ont tendance à ne pas s’éloigner de l’eau. Puisque les milieux humides offrent divers habitats aquatiques à ces insectes, notamment des tourbières, des marais et des étangs, la santé de ces écosystèmes est très importante pour leur survie. Réciproquement, la santé et l’importance des populations de libellules et de demoiselles sont importantes pour avoir une idée de l’état de nos milieux humides.
Milieux humides merveilleux
Les milieux humides sont bénéfiques pour les êtres humains de plus d’une manière. En premier lieu, ils servent de système naturel de purification tant pour l’eau souterraine que pour l’eau de surface. Deuxièmement, ils contribuent à limiter l’inondation en stabilisant les rivages. Enfin, les milieux humides emmagasinent de grandes quantités de dioxyde de carbone, ce qui fait d’eux un rempart important contre les changements climatiques.
Parmi tous les types d’écosystèmes, on considère que ce sont les milieux humides qui présentent la plus grande diversité biologique; ils abritent des centaines d’espèces de plantes et d’animaux. Malheureusement, ils constituent aussi l’un des types d’écosystèmes les plus menacés de toute la planète. Aujourd’hui, les populations de libellules et de demoiselles se réduisent, en grande partie en raison de la perte de leurs habitats ou de l’état de ces habitats.
Pertinence des recherches de M. McAlpine
Si on peut déterminer le nombre de libellules et de demoiselles qui se retrouvent dans une zone humide donnée, puis suivre leur évolution, on peut alors être au fait de l’état de la zone humide elle-même. Plus il y a de libellules et de demoiselles, plus l’habitat est sain. C’est précisément en quoi consiste le projet « Dragonflies of the Protected natural Area: Baseline for Aquatic Monitoring » de M. Donald McAlpine.
On trouve différents types de milieux humides sur le site de la Gorge de la rivière Jacquet : des tourbières, des ruisseaux, un grand lac, des bassins de carrières abandonnées et des étangs de castors. En faisant appel à diverses méthodes de capture, les odonatologues les plus chevronnés de la région de l’Atlantique, notamment M. Paul Brunell, de Halifax, un spécialiste des odonates, recenseront les libellules et les demoiselles (tant au stade d’adultes volants qu’aux stades immatures aquatiques) de ce secteur. Le but du projet est de parvenir à une meilleure connaissance de la biodiversité des dix plus grandes zones naturelles protégées du Nouveau-Brunswick et de tracer un modèle pour le suivi à long terme des terres humides et d’autres habitats d’eau douce. Les milieux humides du Canada représentent 25 p. 100 de tous les milieux humides de la planète; le projet de la Gorge de la rivière Jacquet est ainsi fondamental pour la recherche sur la biodiversité.