Heather Robison
Les moules d’eau douce, qui comptent parmi nos plus grands invertébrés d’eau douce, sont maintenant également au nombre des organismes les plus fortement en péril à l’échelle mondiale. Des cinquante-cinq espèces présentes au Canada, le COSEPAC en considère treize comme en voie de disparition, deux comme menacées et trois comme préoccupantes. La Fédération canadienne de la faune apporte un soutien à des chercheurs de l’Université de Guelph, sous la conduite de Josef Daniel Ackerman, professeur d’écologie physique et de sciences aquatiques. L’objectif : élaborer des stratégies de rétablissement pour ces espèces en péril, et déterminer quelles espèces de poissons sont les hôtes dont leur développement est tributaire. Dans le cadre des recherches, on élève de jeunes moules et on découvre des caractéristiques essentielles de leur habitat.
À la rivière
Lorsqu’il est question de moules d’eau douce, nous ne pouvons tout simplement pas faire l’autruche. L’exploitation commerciale et les changements associés à l’utilisation des sols, notamment l’altération et la dégradation de l’habitat (y compris sur le plan de la qualité de l’eau), sont parmi les raisons du péril auquel sont exposées les moules d’eau douce. Une autre raison est qu’un poisson hôte est nécessaire à la reproduction et à la dispersion des moules (il y a une espèce pour laquelle l’hôte est en fait un amphibien). Cette dépendance peut restreindre le succès de reproduction, car l’état des populations de l’hôte représente un facteur de première importance. Les six programmes de rétablissement de l’Université de Guelph amènent des citoyens, des propriétaires fonciers et des parties concernées de manière particulière à mettre en œuvre des mesures de conservation dans le sud de l’Ontario, notamment aux rivières Ausable, Grand, Maitland, Sydenham et Thames.
La vie d’une moule
Afin d’assurer le rétablissement des moules, des recherches devront élucider plusieurs facteurs :
• les espèces de poissons hôtes les plus productives;
• les périodes de reproduction des moules;
• les conditions optimales d’élevage des jeunes moules en laboratoire et sur le terrain;
• les facteurs environnementaux nécessaires et, avec cette information, les aires d’habitat essentielles et les besoins en milieu naturel.
Sorties du même moule, ou non
Les études initialement subventionnées par la FCF portaient sur trois espèces : la villeuse irisée, la mulette feuille d’érable et le pleurobème écarlate. Elles examinaient également la question de savoir si une espèce envahissante, le gobie à taches noires, pouvait servir de poisson hôte. Toutes les expériences ont été réalisées au Hagen Aqualab et sur le terrain; les études comparatives ont fait intervenir des épioblasmes tricornes, des épioblasmes ventrues, des lampsiles fasciolées et des mulettes ligamentines. L’élevage des jeunes moules est effectué dans six modules d’habitat aquatique consistant en des bacs munis d’une pompe de vidange; l’eau est celle de la rivière Grand. Les jeunes ont été nourris avec des algues à partir de leur métamorphose initiale. Des moules qui avaient au moins un mois ont été mises en présence de trois mélanges d’algues différents. On a calculé les taux de croissance, qu’on a comparés à ceux observés lors d’une expérience d’infestation réalisée dans une enceinte en milieu naturel et portant sur des lampsiles fasciolées et des achigans à petite bouche. Les poissons ont été transférés dans une installation en milieu naturel sur la rivière Grand et on a comparé les taux de survie à ceux obtenus dans le cas de l’élevage des jeunes en laboratoire. On a relevé les périodes de reproduction et mesuré des paramètres physiques et chimiques.
Remouler l’espoir
Les recherches ont montré que les larves d’espèces de moules en péril étaient capables d’infester les gobies à taches noires, avec toutefois des taux de métamorphose généralement plus faibles que ceux associés au chabot tacheté, un poisson benthique et hôte secondaire. Les lampsiles fasciolées élevées sur le terrain, après leur métamorphose en laboratoire, ont très bien grandi et seront reproductrices une fois adultes. Cela indique qu’il pourrait être nécessaire d’élaborer des principes précisant à quels moments après leur transformation en laboratoire et de quelle manière le transfert des moules appartenant à des espèces en péril doit avoir lieu. Les travaux ont également donné lieu à la découverte encourageante de nouvelles aires habitées par trois espèces de moules en péril dans le bassin versant de la rivière Ausable. Ces renseignements, combinés à l’examen continu des conditions environnementales caractérisant les sites habités par les moules, joueront un rôle important dans l’identification des besoins essentiels des espèces de moules en péril. À terme, les résultats favoriseront leur retrait des listes d’espèces menacées, en voie de disparition ou disparues du pays.