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L’énigme des morues



April Overall

Avec d’incroyables quantités de poissons, et une non moindre variété d’espèces parmi eux, dans la mer, les lacs et les cours d’eau, notamment des truites, des saumons et... également des morues, qui à elles seules attirent ici bien des nations, dans ce qui est devenu la pêche la plus célèbre au monde.
- Richard Hayes, en 1583, un capitaine de Sir Humphrey Gilbert, qui a pris possession de Terre-Neuve au nom de

l’Angleterre
Quand John Cabot navigua le long des côtes de Terre-Neuve en 1497, les morues (Gadus morhua) y étaient si abondantes qu’on pouvait les ramasser avec des seaux et les hisser à bord. Peu de temps après, des pêcheurs anglais, français, espagnols, portugais et basques commencèrent à pêcher dans cette région. En 1610, la pêche à la morue était à l’origine de l’une des premières colonies anglaises au Canada. La morue devint le moteur de l’économie à Terre-Neuve et au Labrador, et le nombre considérable de géniteurs qu’on dénombrait dans les années 1960 était de 2,5 milliards. Simultanément, cependant, les Canadiens attrapaient d’énormes quantités de morue, avec un record de 810 000 tonnes en 1968. C’est ainsi que les populations de morue s’effondrèrent et que l’espèce, autrefois abondante, se retrouva en péril.

Famille étendue
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a divisé les populations de morues en six secteurs : Terre-Neuve-et-Labrador, Nord laurentien, Sud laurentien, Sud du Canada, Mers arctiques et Lacs arctiques.

Secteur Terre-Neuve-et-Labrador
Les morues de la région de Terre-Neuve-et-Labrador ont vu leurs populations décroître de 97 p. 100 depuis le début des années 1970. Malgré l’intervention du gouvernement, qui a interdit toute pêche à la morue dans cette région en 1992 et 1993, on n’a pas réussi à faire en sorte que l’espèce s’y rétablisse. En outre, les morues de Terre-Neuve-et-Labrador sont aux prises avec les poissons de plus grande taille et les phoques, ainsi qu’avec des changements que la pêche et des causes naturelles ont fait subir à l’écosystème.

Secteur Nord laurentien
Les morues du Banc de Saint-Pierre et du nord du golfe du Saint-Laurent, le long de la côte sud de Terre-Neuve, ont vu leurs populations décroître de 89 p. 100. Leur liste d’obstacles, qui comprend la pêche, la prédation et les changements que la pêche et des causes naturelles ont infligés à l’écosystème, montre que cette population de morues n’est pas au bout de ses peines.

Secteur Sud laurentien
Cette région est celle des morues qui vivent dans le sud du golfe du Saint-Laurent, dans le détroit de Cabot et dans l’est de la plate-forme néo-écossaise. Beaucoup d’entre elles hivernent également le long de la pente sud du chenal Laurentien. Ces populations de morues ont connu des déclins sévères de jusqu’à 90 p. 100 à cause de la pêche et des changements que la pêche ou des facteurs naturels ont apportés à l’écosystème.

Secteur Sud du Canada
Le secteur Sud du Canada est celui des morues de la baie de Fundy, de l’ouest de la plate-forme néo-écossaise et du Banc Georges. La pêche et les changements écosystémiques causés par la pêche et des facteurs naturels ont réduit leur nombre de 64 p. 100.

Secteur Mers de l’Arctique
Il s’agit ici des morues qui vivent à l’est et au sud-est de l’île de Baffin, au Nunavut. Elles y sont très peu nombreuses, mais elles sont encore exposées au péril des captures accessoires.

Secteur Lacs de l’Arctique
Ces morues qui résident dans les lacs salés du littoral, comme le lac Ogac, le lac Qasigialiminiq et le lac Tariujarusiq, se sont révélées sensibles aux activités humaines et à la pêche.

Des questions subsistent
Bien que la pêche à la morue ait fait l’objet de restrictions de plus en plus importantes, même d’une interdiction complète dans certaines régions, dans le but de permettre aux populations de se reconstituer, on n’a relevé aucun signe de retour en force. Seule une petite sous-population de morues occupant la partie nord-est de l’aire de distribution de la population du Golfe et des Maritimes a connu une croissance au cours de la dernière décennie.

Alors quel est le problème? Les chercheurs ont bien des théories. Est-ce que les morues continuent d’être pêchées intentionnellement ou par inadvertance, comme prises accessoires? Est-ce que leurs relations prédateur-proie ont été chamboulées? Les morues sont-elles trop peu nombreuses pour donner lieu à des taux de fécondation suffisants? Les chercheurs se triturent les méninges pour tenter de percer l’énigme des morues.

Pertinence des recherches de Hutchings
M. Jeffrey Hutchings, professeur au département de biologie de l’Université Dalhousie et président sortant du COSEPAC, met à l’épreuve sa propre théorie sur la situation critique dans laquelle se trouve la morue, une entreprise pour laquelle la Fédération canadienne de la faune lui accorde un financement de 29 000 $ par an sur deux ans. M. Hutchings avance que le non-rétablissement de la morue pourrait s’expliquer en partie par la perte de populations de morues qui étaient subtilement adaptées pour prospérer dans leur milieu immédiat. Si cela s’avère être le cas, le rétablissement des populations de morues pourrait prendre beaucoup de temps, car les morues restantes devront se propager dans des milieux précis et s’y réadapter.

Dans une étude de 2007, M. Hutchings a mis à l’essai sa théorie sur une vaste échelle géographique. Il a pris des morues de régions diverses et a examiné leur aptitude à survivre à différentes températures. Sa constatation est que les morues provenant d’endroits différents présentaient une adaptation qui favorisait leur croissance à des températures différentes, une preuve que des particularités génétiques correspondant aux milieux auxquels les morues sont habituées font varier leurs taux de croissance et de survie.

Cette année, M. Hutchings affine sa recherche en tentant de déterminer s’il existe des adaptions plus locales. Il étudiera les différences entre des morues vivant à aussi peu que 100 kilomètres les unes des autres. Ses chercheurs obtiendront entre 50 et 100 morues provenant de quatre populations qui se trouvent au large de Terre-Neuve, séparées par quelques centaines de kilomètres. Si des différences génétiques apparaissent à si petite échelle, cela pourrait expliquer pourquoi les morues ne se rétablissent pas rapidement. Le cas échéant, la question n’est pas simplement d’empoissonner, mais de savoir si nous serons assez patients pour donner aux morues le temps dont elles ont besoin pour se réadapter à leurs milieux et retrouver leurs effectifs.