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Lorsque l’hiver change


Jan 19, 2016
Niki Wilson

En février ou en mars, quelque part dans la neige épaisse des montagnes Rocheuses et de leurs contreforts, les mères carcajous se feront des tanières où elles donneront naissance à leurs petits. Ces tanières creusées dans la neige offrent une protection contre les prédateurs et une isolation contre le froid jusqu’à ce que les petits soient assez robustes pour résister aux dangers du monde extérieur.

Une accumulation de neige épaisse et persistante est essentielle. Des recherches laissent penser que les carcajous préfèrent une épaisseur de neige de plus d’un mètre qui perdure pendant une partie du printemps. C’est cette dépendance à l’égard du manteau de neige de la fin de l’hiver et du printemps qui les rend vulnérables aux changements climatiques, des changements qui pourraient réduire l’accumulation nivale en raison de pluies printanières plus hâtives et de températures plus chaudes.

Le carcajou est loin d’être la seule espèce dont le comportement est dicté par l’hiver. La modification des conditions hivernales sous l’effet du changement climatique aura inévitablement une incidence sur le carcajou et bien d’autres espèces. Il est cependant compliqué de comprendre quelle sera la réaction exacte d’une espèce, indique M. Brent Sinclair, professeur adjoint au département de biologie de l’Université Western. 

« Lorsqu’il est question des changements climatiques, il y a une tendance forte à présenter tout en noir et blanc, ce qui ne correspond pas à la réalité », indique M. Sinclair, qui ajoute que, pour atténuer les effets possibles des changements climatiques, les scientifiques doivent identifier quelles espèces en tireront avantage et quelles espèces seront vulnérables. Compte tenu de la gamme des réactions physiologiques et comportementales des espèces à l’hiver, ainsi que de l’incidence variable qu’auront les changements climatiques d’une région à l’autre, la question est compliquée.

Malgré cette complexité, M. Sinclair et ses collègues Caroline Williams et Hugh Henry présentent, dans un article qui sera publié prochainement, un cadre général pour la prévision de l’incidence des changements climatiques hivernaux sur les organismes terrestres. L’article passe en revue les connaissances dont on dispose sur les effets des changements climatiques hivernaux sur des espèces des quatre coins de la planète.

Les auteurs disent que les répercussions subies en raison de changements de températures hivernales, de la variabilité des conditions hivernales et de changements de l’accumulation de neige en hiver varieront d’une espèce à l’autre. Il y a de nombreuses possibilités.

On sait bien, par exemple, que les températures hivernales froides limitent l’activité des dendroctones du pin ponderosa, indique M. Sinclair. Dans ce cas, la relation est relativement simple et un réchauffement permettra probablement à ces coléoptères de gagner du terrain. D’autres cas sont cependant plus complexes.
Dans certaines régions, des modèles de changements climatiques prédisent une accumulation de neige réduite. Ils prédisent également une fréquence accrue des cycles de gel et de dégel tout au long de l’hiver. Cette combinaison pourrait être problématique pour la grenouille des bois et d’autres amphibiens qui dépensent une quantité incroyable d’énergie pour préparer leur corps à la congélation en hiver. M. Sinclair dit qu’une accumulation de neige épaisse et constante contribue à les isoler contre les changements de températures et leur permet ainsi de maintenir leur état congelé. Le fait de dégeler puis de geler de nouveau plusieurs fois au cours d’un hiver épuisera rapidement leurs réserves énergétiques. « Une réduction de la quantité de neige restreindra potentiellement leur distribution », indique M. Sinclair.

Des températures plus chaudes à l’automne et au début de l’hiver pourraient également nuire à certaines espèces, notamment Erynnis propertius, qui est considérée comme une espèce en péril en Colombie-Britannique. Le cycle biologique de cette espèce de papillons s’effectue en une année. Selon M. Sinclair, « après avoir fini de se nourrir à l’automne, [la chenille] dispose d’une quantité d’énergie qui doit lui suffire pour survivre à l’hiver, puis pour se transformer en papillon à la fin de l’hiver. »  Les chenilles exposées à des automnes et des hivers plus chauds sont plus actives et elles dépensent trop d’énergie. Au bout du compte, dit M. Sinclair, cela veut dire que le papillon qui ouvrira ses ailes au printemps sera plus petit, s’il a survécu. « Ces papillons auront une progéniture moins nombreuse, ce qui veut dire que leur population décroîtra. »

Inversement, des hivers plus doux peuvent être utiles à certains animaux. La mésange à tête noire, par exemple, dépense chaque nuit jusqu’à 30 p. 100 de sont poids pour maintenir sa chaleur corporelle. Pour cette espèce comme pour beaucoup d’autres espèces de petits oiseaux, il faut, pour survivre à l’hiver, trouver un équilibre délicat entre l’alimentation et le repos. Bien qu’il semble, d’après des études récentes, que les mésanges soient bien adaptées pour survivre aux grands froids et aux intempéries de durée limitée, elles ne peuvent survivre plus d’une journée sans s’alimenter. S’il fait moins froid, il se peut qu’il leur faille moins d’énergie pour survivre à l’hiver. Certains types d’intempéries extrêmes, notamment les tempêtes de verglas, peuvent cependant recouvrir de glace leurs aliments et les faire ainsi mourir de faim. Une fréquence accrue de ce type d’intempéries rendrait les mésanges plus vulnérables.

M. Sinclair dit que les changements climatiques entraînent des décalages préoccupants entre certaines espèces et l’apparition de leur nourriture printanière. Il explique qu’en général le changement de la durée du jour constitue un signal de départ important pour les migrations des oiseaux – ceux-ci tendent à s’envoler vers le nord à peu près au même moment chaque année. Les insectes dont ils se nourrissent à leur arrivée se développent cependant en réaction à la température, et non à la durée du jour. Lorsque les printemps sont plus chauds plus tôt, les chenilles et d’autres larves se développent plus tôt. « Lorsque les oiseaux arrivent et commencent à chercher ces insectes afin d’en nourrir leurs bébés, les chenilles, déjà adultes, ont disparu. »

Comme le dit M. Sinclair, l’hiver est important – du déclenchement de l’hibernation à l’engraissement qui permet de résister au froid en passant par la persistance du manteau nival et de son pouvoir isolant. Tant d’espèces septentrionales sont adaptées à des conditions hivernales particulières dont elles dépendent que toute possibilité d’atténuation exige qu’on sache quelles espèces sont vulnérables et quelles répercussions elles pourraient subir.

L’article original a été publié dans Wild Lands Advocate.