Jodi Di Menna
Mesurer l’oscillationLes systèmes climatiques autour de l’Atlantique Nord — du sud des États-Unis jusqu’au Groenland et de l’Afrique et l’Europe du Nord-Ouest jusqu’en Asie du Nord — dépendent dans une large mesure de l’oscillation nord-atlantique. En termes simples, l’indice de l’oscillation nord-atlantique réfère à la différence de pression entre la masse d’air dépressionnaire au-dessus de l’Islande et l’anticyclone (masse de haute pression) des Açores, un archipel au large du Portugal. Quand le contraste entre les deux masses d’air est élevé, on calcule l’indice comme positif. Quand la différence de pression est moyenne, l’indice est à zéro. Et quand elle est sous la moyenne, l’indice est négatif. Un indice positif (ou un grand contraste entre les masses d’air) se traduit par des conditions plus froides et plus sèches sur les régions du nord-ouest de l’Atlantique et de la Méditerranée, mais par du temps plus chaud et humide dans le nord de l’Europe, l’est des États-Unis et des parties de la Scandinavie. La plupart des modèles climatiques montrent qu’avec une augmentation annuelle de 1 % du CO2 dans l’atmosphère, la différence de pression atmosphérique entre l’Islande et les Açores augmente aussi, de sorte que l’indice monte et que les Maritimes subissent des conditions plus froides et plus sèches. En fait, la tendance de l’indice de l’oscillation nord-atlantique s’est avérée surtout positive au cours de 30 dernières années. Les scientifiques associent cette tendance à des phénomènes variés, depuis des hivers plus doux en Europe et des changements dans la banquise autour du Labrador et du Groenland jusqu’à des modifications dans la circulation des océans et la distribution des poissons et du zooplancton. -JD |
Pour les mouettes tridactyles qui nichent dans les falaises abruptes entourant la baie Witless, à Terre-Neuve, un basculement d’échelle globale dans les mouvements atmosphériques devient une question personnelle : leur planification familiale en dépend. Les scientifiques du Service canadien de la faune ont trouvé que le succès de reproduction des mouettes dépend très largement de l’oscillation nord-atlantique — la circulation atmosphérique à grande échelle qui détermine en bonne partie le climat sur l’Atlantique Nord. C’est une découverte inquiétante, puisque les experts du climat prédisent que les changements climatiques vont probablement déstabiliser complètement l’oscillation.
John Chardine et ses collègues observent le succès de reproduction des mouettes de la baie Witless depuis le début des années 1990. Au fil des ans, Chardine a vu la taille des colonies diminuer en général, avec des variations extrêmes du succès de reproduction d’une année à l’autre.
Les bonnes années, en moyenne un ou deux oisillons par couvée quitteront le nid. Les mauvaises années, on constate un échec de reproduction dans presque tous les nids. « Sur un relevé d’un millier de nids, vous pouvez ne trouver que dix oisillons. Il y a des secteurs entiers que j’ai étudiés dans lesquels pas un seul jeune n’a atteint l’âge de quitter le nid », dit Chardine.
Soupçonnant que ces alternances progression/régression étaient liées à l’aliment préféré des mouettes — le capelan, un petit poisson gras —, Chardine a commencé à étudier les conditions de l’océan les années de faible reproduction.
Il a découvert que, quand la surface de l’eau était plus froide que la normale, la reproduction échouait. « Nous savons que la distribution des capelans dans l’eau est liée à la température. Nous concluons que le mécanisme qui cause l’échec de la reproduction est lié aux changements de température de l’eau d’une année à l’autre, qui affectent la distribution du capelan. »
Mais une question plus générale demeurait : qu’est-ce qui cause les fluctuations importantes de la température de l’eau? « Je savais que l’oscillation nord-atlantique modifiait les températures de l’eau au sud du Groenland et jusqu’à la côte est de Terre-Neuve, se souvient Chardine, alors j’ai commencé à étudier ces variations. »
Il s’est particulièrement intéressé à l’indice de l’oscillation nord-atlantique, calculé chaque année, et il l’a comparé au succès de reproduction des mouettes. Quand l’indice montait (ce qui indique des températures plus froides autour de Terre-Neuve; voir l’encadré Mesurer l’oscillation), les oiseaux déclinaient. Quand l’indice était négatif (signe de températures plus élevées), les oiseaux prospéraient. Cette conclusion n’augure rien de bon pour les oiseaux, puisque la plupart des modèles climatiques prévoient une augmentation de l’indice de l’oscillation nord-atlantique au cours des 100 prochaines années, conséquence des changements climatiques d’origine humaine.
Chardine soupçonne que le lien entre l’indice et la reproduction des oiseaux tient au fait que les capelans n’aiment pas l’eau froide en surface; les poissons ne sont donc pas vraiment disponibles quand les oiseaux en ont particulièrement besoin.
« Quand la température de l’eau baisse, les capelans retardent leur frai. Alors, nous croyons que le problème en serait un de synchronisation, dans la mesure où les mouettes ne trouveraient pas de capelans au moment de l’éclosion de leurs petits. »
L’importance des découvertes de Chardine va au-delà du sort de la population de mouettes tridactyles. « Les oiseaux sont un indicateur très utile de la qualité de l’environnement marin d’une année à l’autre », dit-il.
Qui plus est, la tendance à la hausse de l’indice de l’oscillation nord-atlantique pourrait avoir une influence plus vaste. « Son influence ne se fait pas seulement sentir chez les mouettes. Il affecte les morues et les homards et une foule d’autres espèces, explique Chardine. C’est une valeur significative. »