Jennifer Smart
Le 2 octobre 2008, huit des plus grands artistes et photographes de la nature du Canada et des États-Unis ont entrepris un voyage de deux semaines pour assister à la migration de la harde de caribous de la rivière George au lac Kamestastin, au Labrador, et rendre compte de leurs observations. L’expédition était organisée dans le cadre du projet de la Wilderness River Expedition Art Foundation (WREAF) intitulé « Visions of the Boreal Forest: Art, Science and Adventure in the Northern Wilderness » et marquait le septième périple du groupe dans la forêt boréale depuis 2005. Le voyage au lac Kamestastin, la plus récente expédition organisée de la WREAF, a été rendu possible grâce au parrainage de la Fédération canadienne de la faune qui a offert 12 000 $.
Constituée le 11 février 2005, la WREAF est un collectif d’artistes internationaux qui sensibilise le public à l’importance de la conservation en organisant des expéditions d’artistes dans la nature sauvage, suivies d’expositions de leurs œuvres. En organisant des expositions et en donnant à des artistes la possibilité de s’inspirer directement de la nature sauvage, la WREAF offre un point de vue original au dialogue public sur la conservation. Le groupe concentre actuellement ses efforts sur la forêt boréale.
Les artistes suivants ont participé à l’expédition Kamestastin : Linda Besse de Washington, Cole Johnson de New York, Jay Johnson du Massachusetts, Gary McGuffin de l’Ontario, Steve Oliver de Pennsylvanie et Rob Mullen, John Pitcher et Sue Westin du Vermont. Les artistes aventuriers étaient accompagnés de Tony Jenkinson, cofondateur de la Tshikapisk Foundation, et de sa petite-fille de dix ans, Jordana Bedoen ― la guide innue non officielle du groupe.
Un membre de l’expédition, Rob Mullen, fondateur et directeur administratif de la WREAF, relate cette expérience extraordinaire :
En janvier dernier, sur la recommandation de M. Stephen Loring, j’ai été invité par la Tshikapisk Foundation à envoyer des équipes à son nouveau site d’écotourisme au lac Kamestastin pendant les migrations de printemps et d’automne du caribou des bois. Le 18 octobre, nous sommes revenus à Montréal, à l’issue de notre première expédition dans cette région vitale pour le troupeau de caribous de la rivière George.
Photo : Gary McGuffin Le lac Kamestastin occupe le fond d’un cratère de météorite vieux de 38 millions d’années. Ce cataclysme primordial a exterminé instantanément la luxuriante flore subtropicale et la faune de l’Oligocène à des dizaines de kilomètres à la ronde. Ironie du sort, cette région constitue aujourd’hui un îlot de diversité dans la toundra. L’ancien cratère procure une protection suffisante contre le vent quasi incessant pour permettre à une vaste bande de forêt boréale de croître le long de la rive sud du lac et d’attirer la faune à qui elle procure nourriture et abri. Depuis des milliers d’années, les troupeaux de caribous de la péninsule du Québec-Labrador traversent cette zone de transit entre la forêt au sud et la toundra moins fréquentée par les prédateurs, à l’automne pour la période du rut, et au printemps pour rejoindre les aires de mise bas; et pendant des milliers d’années, les Innus les ont attendus au lac Kamestastin.
Comme le caribou des bois dépend de la forêt boréale ancienne, il est considéré comme une bonne espèce indicatrice témoignant de la qualité et de la santé des écosystèmes qu’il habite. Le caribou est une grande source d’inspiration artistique, et il stimule les multiples facettes de l’imagination des observateurs, beaucoup plus intensément que ne le fait le porc-épic. Outre son importance écologique et artistique, le caribou a été au centre de la culture innue pendant des milliers d’années, et il fournit un éclairage culturel, anthropologique et même archéologique qui permet de mieux connaître la forêt boréale et le peuple qui l’habite depuis que les glaciers se sont retirés.
Le 1er octobre, après un voyage de trois jours en voiture depuis Montréal, nous sommes arrivés à Goose Bay où nous avons rencontré Stephen Loring et Tony Jenkinson. Le 2 octobre au matin, notre groupe de 10 personnes (incluant Tony) a embarqué à bord d’un Twin Otter de la compagnie Innu Mikun pour un vol de 350 kilomètres jusqu’au lac Kamestastin.
Photo : Gary McGuffin L’expédition devait passer douze jours au lac Kamestastin afin d’avoir de plus grandes chances d’observer un grand nombre de caribous. L’absence quasi totale de caribous durant les six premiers jours justifiait la durée du séjour. Toutefois, cette rareté n’a pas posé de problème immédiat. Nous avons vu des ours énormes, des loups dans le lointain, des lagopèdes, des becs-croisés des sapins, des aigles royaux, des faucons gerfauts, des garrots communs et des arlequins plongeurs, des bernaches du Canada et une multitude d’autres oiseaux; le tout dans un paysage inspirant le respect; une mosaïque de rochers et de toundra arbustive, de tourbières, d’étangs et de forêts, avec des rivières coulant en direction de pics lointains recouverts de neige. Cette région possède une beauté qui subjugue et semble merveilleusement intemporelle, qui procure un sentiment profond de liberté et de paix – malgré le vent qui souffle comme une menace diffuse et inquiétante aussi – cette contrée est véritablement sauvage. Certains d’entre nous se déplaçaient parfois seuls, non sans manifester la plus grande prudence empreinte de respect.
Un après-midi, alors que j’étais assis sur une crête dominant le lac, je fus frappé par l’intemporalité de cette activité d'observation des caribous, et je ressentis un lien avec ceux qui m’avaient précédé ici, artistes de la nature sauvage ou chasseurs innus d’autrefois, car malgré quelques différences superficielles évidentes, l’essentiel demeurait inchangé.
Labrador Bull, 10 po x 13 po, par Cole Johnson Puis les caribous sont arrivés.
Le 8 octobre au matin, continuant de parcourir la région et de la découvrir, je pris la direction nord-est afin de rechercher une voie de portage possible vers la Kogaluk que Stephen Loring avait suggérée. En chemin, j’avais l’intention d’aller en reconnaissance le long de la rivière Kamestastin afin de rechercher des pistes de caribou indiquant qu’ils traversaient à l’est du lac. John Pitcher, l’un de nos artistes, s’était joint à moi à la dernière minute. Nous sommes donc partis pour notre première journée de beau temps, malgré la température froide et un fort vent du nord. Quelques kilomètres plus loin, alors que nous faisions une courte pause pour observer les environs à la jumelle et repérer notre route, j’ai remarqué une partie de ce qui s’est avéré être une importante harde de caribous, à environ 800 mètres à l’est de l’endroit où nous nous trouvions. Nous nous sommes dirigés vers eux. Le premier groupe a évité une rencontre suffisamment proche pour nous permettre de bonnes photos, mais à notre plus grande joie, d’autres groupes suivaient. Au cours de la journée, nous avons vu plus de 500 caribous, la plupart à distance rapprochée, avec des mâles splendides, et tous dans la meilleure condition. À notre retour au camp, il s’est avéré que tous les membres de l’équipe avaient fait des rencontres similaires durant la journée; les caribous étaient donc bien arrivés.
Bien que le troupeau ne fût pas encore aussi immense qu’il est fréquent de l’observer à Kamestastin début octobre, les quelques milliers de caribous que nous avons vus nous ont offert un spectacle impressionnant. Deux artistes enthousiastes revenant au camp un soir ont décrit avoir vécu ce jour-là une rencontre qui était « la plus forte expérience de la nature sauvage » de leur vie, et pourtant ces artistes avaient parcouru le monde. Le jour suivant fut tout aussi impressionnant, mais le point d’orgue fut deux jours plus tard lorsque, au matin, un millier de caribous ont traversé le lac à proximité du camp. Les caribous furent au rendez-vous pendant les jours suivants, et aucun de nous n’a manqué ces rencontres inspirantes, dans des paysages superbes baignés d’une belle lumière.
À ce jour, le groupe a organisé des expositions à Parker, au Colorado, et à Los Olivos, en Californie. En 2009, la WREAF organisera d’autres expositions sur place, ainsi qu’une exposition virtuelle qui permettra aux visiteurs internautes du monde entier de découvrir la beauté et les merveilles de la forêt boréale.
En haut : On the Move, 13 po x 26 po, par Steve Oliver