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Les plantes alpines indigènes de Terre-Neuve

 cliquez | Photographie; Todd Boland www.mun.ca/botgarden/

Par Todd Boland

Quand on pense aux plantes alpines, on s’imagine généralement des plantes qui poussent dans de majestueuses chaînes de montagnes, comme les Rocheuses, les Alpes, les Andes ou l’Himalaya. Il existe pourtant des plantes alpines qui poussent naturellement au niveau de la mer. Bien que cela ne corresponde pas à la définition habituelle des plantes alpines, on en trouve plusieurs le long du littoral de la péninsule Great Northern de Terre-Neuve.

Du point de vue des jardiniers, St. John’s ne jouit pas du meilleur climat au monde. De grands vents y soufflent toute l’année, son climat est le plus humide dans l’est de l’Amérique du Nord, le peu de sol terreux disponible est fortement acide et la saison de croissance est très courte. En plus, St. John’s est victime (du point de vue des jardiniers) du courant du Labrador, un courant océanique qui transporte les froides eaux de l’Arctique, glace comprise, jusqu’aux côtes de Terre-Neuve. Le printemps ne commence pas avant le mois de mai, et il est presque normal d’avoir du gel jusqu’en juin. La température à St. John’s en été est plutôt fraîche, sa moyenne étant d’environ 20°C. La neige apparaît en décembre pour ne partir qu’en avril, la température moyenne en hiver tournant autour de –2°C. Malgré la longueur de l’hiver, il est donc relativement doux. La capitale terre-neuvienne appartient à la zone 5b de rusticité des plantes au Canada.

Au nord de Terre-Neuve, là où les plantes alpines poussent naturellement au niveau de la mer, le climat est encore plus rigoureux. La neige s’installe en novembre pour ne disparaître qu’en mai, quand les glaces de l’océan finissent par fondre. La température plonge parfois jusqu’à -25°C en hiver, alors que des vents hurlants de 80 km/h y font rage. En été, le thermomètre monte rarement plus haut que les 20°C. Ces faits nous permettent de comprendre pourquoi les plantes alpines se sentent totalement à l’aise dans cette région malgré l’absence de montagnes ! 

Plusieurs des plantes alpines indigènes de Terre-Neuve poussent dans des habitats montagneux plus typiques. Les côtes sud et ouest de la province sont garnies de montagnes qui atteignent de 600 à 800 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elles font partie de l’extrémité nord de la chaîne des Appalaches. Ces montagnes (guère plus que des collines, en réalité!) se composent de grès et de granit, ce qui les rend évidemment acides. Parmi les plantes qui poussent dans ces milieux, on retrouve Loiseleuria procumbens, Diapensia lapponica, la plante naine Vaccinium vitis-idaea var. minus, la délicate Empetrum eamesii aux fruits roses, Vaccinium uliginosum avec son feuillage indigo et Arctous alpina, dont la couleur rouge écarlate d’automne n’a pas d’égal. Là où la neige tarde à fondre, on peut rencontrer la superbe Phyllodoce caerulea, Harrimanella hypnoides, Salix uva-ursi et Sibbaldia procumbens. Cela dit, c’est le long des landes côtières de calcaire de la péninsule Great Northern que pousse la plus grande variété de plantes alpines.

En superficie, les landes de calcaire de Terre-Neuve ressemblent au Burren, en Irlande, bien que la flore y soit très différente. Le paysage y est presqu’entièrement dénué d’arbres et, au premier regard, semble n’être qu’un vaste amas de pierre concassée.

Limestone barrens at Bird CoveUne inspection plus approfondie de ce saisissant paysage révèle toutefois la présence d’une variété surprenante de joyaux végétaux alpins. La saison de floraison commence au début de juin, atteint son point culminant à la mi-juillet et dure jusqu’au début de septembre. 

Les plantes alpines des landes de calcaire de Terre-Neuve poussent dans trois principaux types de microhabitats : les fissures de roche, les éboulis calcaires naturels et les accumulations sableuses et tourbeuses à la base des falaises de calcaire. Les plus robustes des plantes alpines croissent dans d'étroites fissures de calcaire dans des sortes de jardins de crevasses naturels. On y trouve d'autres plantes, comme Rhodiola rosea, Draba incana, Draba glabella, Lesquerella purshii, diverses espèces d'oxytropes et d'astragales, Silene acaulis, Salix reticulata et Salix glauca.  Ces milieux abritent aussi trois des rares plantes alpines endémiques de la province, soit Braya longii, Braya fernaldii et Salix jejuna.

La plupart des landes de calcaire se composent de gravier calcaire de toutes les tailles, le résultat d'éboulis calcaires naturels. La diversité des plantes y est impressionnante. Les habitants de crevasses mentionnés plus haut sont ici chez eux. On relève également la présence d'espèces comme Saxifraga aizoides, Saxifraga paniculata var. labradorica, Saxifraga oppositifolia, Saxifraga caespitosa, Armeria maritima var. labradorica, Campanula rotundifolia, Primula laurentiana, Primula mistassinica, Primula egaliksensis, Gentianella nesophila, Solidago multiradiata, Solidago hispida, Packera pauciflora, Sagina nodosa, Cerastium alpinum sous-espèce lanatum, Lychnis alpina, Minuartia rubella, Tanacetum huronense var. terrae-novae, plusieurs espèces d'antennaires...  et la liste est encore longue ! Ce gravier calcaire accueille aussi plusieurs saules de l'arctique, dont Salix reticulata, Salix glauca, Salix arctophila, Salix arctica, Salix weigandii, Salix cordata, Salix vestita et des formes naines de Salix candida, au feuillage argenté. Les autres types d'arbres de la région sont Potentilla fruticosa var. tenuifolia, Shepherdia canadensis var. prostrata, Juniperus communis var. saxatilis, Dryas integrifolia, Betula pumila et Sibbaldiopsis tridentata. Comme les rhododendrons sont généralement associés à des sols acides, le délicat Rhododendron lapponicum est tout à fait à l'aise dans ce milieu. Dans certaines zones, on retrouve même le divin sabot de la Vierge, Cypripedium parviflorum var. planipetalum; d'autres orchidées y abondent, dont Pseudorchis albida, Amerorchis rotundifolia, Platanthera hookeri, Platanthera huronense, Platanthera aquilonis, Platanthera obtusata var. collectanea et Coeloglossum viride.

Presque tout au long de la côte ouest de la péninsule Great Northern, les landes de calcaire se terminent abruptement en falaises basses qui ont en général une hauteur de trois à six mètres. Cela dit, leur dénivellation peut excéder les 30 mètres dans la région de Cape Norman. À la base de ces falaises s’accumule un mélange de gravier calcaire fin et de tourbe. L’abri que fournissent ainsi les falaises est un véritable Shangri-La pour de nombreuses plantes alpines, ce qui donne lieu à un kaléidoscope de couleurs tout au long de l’été.

Pyrola asarifolia, Rubus acaulis, Viola palustris, Iris hookeri, Bartsia alpina, Pinguicula vulgaris et Gentianella propinqua colorent le paysage de rose, de pourpre et de bleu. Les blancs nous sont offerts par

Anemone parvifloraAnemone parviflora, Parnassia palustris, Parnassia glauca, Polygonum viviparum, Cornus suecica, Stellaria longipes, Tofieldia glutinosa et Erigeron hyssopifolius. Pour le jaune, nous avons Potentilla neumanniana, Potentilla nivea, Alchemilla minor, Arnica lonchophylla et plusieurs verges d'or naines qui complètent l’image. Les fissures dans les falaises de calcaire abritent plusieurs charmantes fougères : Asplenium viride, Cystopteris fragilis, Woodsia alpina, Woodsia ilvensis, Woodsia glabella et Polystichum lonchitis.

Est-il facile de cultiver ces plantes alpines indigènes de Terre-Neuve ? En fait, je travaille comme horticulteur spécialisé en recherche au jardin botanique de la Memorial University of Newfoundland, à St. John’s, et les plantes alpines arctiques indigènes constituent l’un des principaux éléments de notre collection.   Colourful alpines adorn the Botanical Garden's Rock Garden

Nous en cultivons dans plusieurs sections du jardin, entre autres dans notre jardin de rocailles ordinaire, dans des éboulis calcaires, à la maison alpine et en particulier dans notre jardin de crevasses. Certaines de nos plantes poussent à partir de graines sauvages ou de boutures, d’autres ont été sauvées des chantiers de construction. Bien qu’il soit facile d’accéder aux régions alpines au niveau de la mer de Terre-Neuve, il faut dix heures pour s’y rendre en voiture depuis St. John’s, qui est la plus importante destination touristique de la province. Les visiteurs apprécient donc beaucoup les plantes alpines indigènes du jardin botanique, car ils peuvent les admirer tout en s’épargnant un long parcours ardu.

Ça m’étonne souvent de voir à quel point certaines espèces indigènes deviennent robustes lorsqu’on les installe dans un endroit plus propice. Dans la nature, Iris hookeri, Packera pauciflora, Solidago multiradiata et Rhodiola rosea mesurent habituellement moins de 15 centimètres, mais cultivées, elles dépassent parfois les 30 centimètres. Par contre, je m’attendais à voir les formes procombantes de Potentilla fruticosa et de Shepherdia canadensis se relever, mais leur patron de croissance au ras du sol semble génétique, puisqu’il perdure après 10 ans de culture.

 
En règle générale, nous n’avons pas eu autant de chance avec les plantes à racine pivotante. La plupart des plantes alpines à racines fibreuses se cultivent assez facilement. Le sol de notre jardin de rocailles se compose en parties égales de terre végétale, de tourbe et de sable, avec un centimètre de poussière de pierre. Ce mélange convient à toutes les espèces sauf aux véritables habitants d’éboulis. On augmente la proportion de poussière de pierre pour les espèces qui ont besoin d’un meilleur drainage. Celles-ci semblent toutefois préférer les conditions de la maison alpine. Diapensia lapponica est une plante difficile à cultiver qui n’a encore jamais survécu dans un jardin extérieur, mais nous en avons une de cinq ans qui prospère, du moins jusqu’à maintenant, à la maison alpine. Loiseleuria procumbens est aussi plus à l’aise à la maison alpine qu’à l’extérieur. Les feuilles qui se déroulent de Salix vestita sont couvertes de poils soyeux qui disparaissent rapidement quand la plante pousse à l’air libre. À la maison alpine, elle retient ces poils pendant la majeure partie de la saison, ce qui accroît le charme de ce saule nain bombant. Certaines espèces, comme nos oxytropes et astragales indigènes, sont réticente à croître hors de leur aire naturelle. Packera pauciflora et diverses espèces d’antennaires, par contre, se propagent comme de la mauvaise herbe dans les rochers en milieux naturels, et il faut procéder à un éclaircissement judicieux de ces plantes pour les contenir.

Si vous avez la chance de faire un voyage de bonne durée à Terre-Neuve, je vous recommande de vous rendre jusqu’aux landes de calcaire de la péninsule Great Northern. Pour les amateurs de flore alpine dont le séjour est plus court, une petite visite du jardin botanique saura vous donner un aperçu de la beauté de nos plantes alpines indigènes.