Aaron Kylie
| Photo : Genevieve Taylor |
« Avec un peu de chance, nous allons trouver des salamandres aujourd’hui », me dit Michael Léveillé, alors que nous franchissons une petite butte et descendons un vieux sentier de terre. La matinée est ensoleillée et nous traversons un boisé mixte en direction du marais Macoun. Allan, le fils de neuf ans de Michael, et son copain Alex foncent en avant et quittent bientôt le sentier. Ils commencent aussitôt à retourner des pierres sur le coteau caillouteux où le papa a annoncé que se cachent probablement des salamandres. On voit que l’exercice n’est pas nouveau pour eux.
En effet, le marais Macoun, un coin du cimetière Beechwood d’Ottawa, est comme une seconde maison pour Léveillé. Il habite à deux pas de là et enseigne à l’Académie St-Laurent, une école primaire privée située de l’autre côté de la rue. Depuis sept ans, il utilise le marais comme classe de plein air pour enseigner les concepts scientifiques de base, la biodiversité et l’importance de la conservation.
J’ai rencontré Léveillé l’an dernier en tant que directeur des publications de la FCF. La fédération lui décernait son Prix de mentorat des jeunes, à titre inaugural, et comme nous vivons tous les deux à Ottawa, je lui ai demandé de me faire visiter le marais Macoun, où, avec ses élèves, il a identifié 1 268 espèces. Et puisque Michael utilise le marais comme salle de cours, il n’était que naturel que j’emmène ma famille : ma femme Genevieve, mon fils Finn, quatre ans, et ma fille Savannah, deux ans. Nous ne nous imaginions pas toutes les surprises qui nous attendaient, ni à quelle vitesse elles se révéleraient à nous.
« Regardez comme il est gros et long », crie Allan. Surprise. Ce n’est pas une salamandre, mais un ver de terre bien gras tiré de sous une roche. Les grands garçons s’amusent à arracher quelques autres gros vers du sol humide et mes enfants se joignent rapidement à eux. « Descendons plus bas et voyons si nous trouvons des salamandres plus près du marais », dit Léveillé.
Pendant que nous marchons, Léveillé mentionne qu’il est habituel de voir ici des lichénées rouges tôt dans la saison. Ces grands papillons de nuit font à peu près 8 cm d’envergure, leur dos est parfaitement camouflé dans les teintes de gris et brun mais, en dessous, ils affichent un brillant motif rouge et noir. En nous approchant du marais, nous traversons une petite futaie de trembles. Ces feuillus sont uniques puisqu’un boisé est souvent issu d’une seule graine qui se propage par drageonnage, c’est-à-dire par des boutures issues des racines. Un nouvel arbre peut surgir à 40 m de l’arbre-parent. Chaque arbre peut vivre de 40 à 150 ans, mais le système racinaire peut vivre des milliers d’années, lançant de nouveaux troncs quand les plus vieux meurent. C’est pourquoi on considère les peupliers faux-trembles comme des indicateurs de boisés anciens — ce qui est d’autant plus étonnant quand vous vous trouvez au beau milieu d’une ville.
Ville ou pas, il est aussi étrange de trouver une structure en bois sans mur, couverte d’une toiture de 7 m par 7 m, nichée près du bord de l’eau dans un marais sans caractère particulier. Mais il s’agit de la classe en plein air de Léveillé, entourée sur trois côtés de montres inclinées en plexiglas qui affichent des peintures de la faune et de la flore du secteur, réalisées par des élèves et des enseignants. Léveillé s’active partout autour des lieux, mais les jeunes sont déjà au travail dans le sol détrempé, retournant toujours plus de pierres dans leur quête des insaisissables salamandres.
Alors que nous les suivons, je mets mon fils en garde contre une abeille qui volette autour de lui. Léveillé attrape l’appareil photo qui pend à son cou et se rapproche de l’abeille. « C’est une mouche-abeille, une bombylidée », s’exclame-t-il. « Elles sont extrêmement rares, je dois la photographier. » Et le voilà parti, sautillant dans les hautes herbes, pour obtenir sa photo. À son retour, il explique que les mouches-abeilles sont, comme leur nom l’indique, des mouches qui ressemblent à des abeilles. Et alors qu’il existe des milliers d’espèces de bombylidées, aucune d’entre elles n’est très abondante.
Alors que nous n’avons toujours pas vu de salamandres, Léveillé suggère que nous rendions visite à un nid de tortue peinte à 200 m du marais. « Malheureusement, un animal l’a trouvé et tous les œufs sont brisés, dit-il, mais ça demeure intéressant à voir. » Effectivement, alors que nous approchons du petit cercle de terre nue au milieu d’une étendue de gazon manucurée, nous distinguons clairement les petits éclats blancs de coquille brisée. Michael et les deux plus vieux se penchent sur le nid et commencent à ramasser des éclats pour nous les montrer. « Là, une tortue! » s’exclame Alex — alors que Michael tombe à quatre pattes pour inspecter le sol avec minutie.
Et là, je la vois. Une petite tête noire de la taille du bout du petit doigt, qui pointe au milieu de la terre et des débris de coquille. Léveillé la dégage avec précaution de la terre puis la recueille dans le creux de ses deux mains. Les enfants deviennent fous et bourdonnent autour de Michael pour mieux voir.
Sa priorité est de calmer les enfants. « Pour tenir la tortue, il faut demeurer silencieux et calme », dit-il à mi-voix. « Elle a déjà bien assez peur. » Une fois les enfants tranquillisés, ils tiennent tour à tour rapidement, gentiment et calmement la tortue, qui est à peine plus grosse qu’une pièce de deux dollars. Alors qu’ils se passent l’animal de main à main, il est évident que chacun des enfants se souviendra de ce moment, probablement pour le reste de ses jours. Et c’est pourquoi je me dis que je ne l’oublierai jamais non plus.
Puisque la tortue se serait dirigée vers l’eau tôt ou tard, Léveillé propose que nous la transportions dans l’étang en retournant. Les 200 mètres entre le nid et l’eau doivent ressembler à la traversée du continent pour une petite bête de cette taille. Quand nous atteignons l’étang, c’est ma petite — l’honneur revient à la plus jeune, selon Léveillé — qui remet doucement la tortue à l’eau.
Alors que nous remontons la pente de l’autre côté du marais, notre visite tire à sa fin. Mais le marais Macoun nous réserve une dernière surprise. Je montre un froufroutement de brun, de noir et de rouge. « Est-ce que c’est une lichénée rouge? » demandé-je à Michael. Oui, c’en est une. Puis notre guide, dont on pourrait croire qu’il a tout vu, se tourne vers moi et me dit : « Tu nous portes chance. Quand est-ce que tu reviens? »