Jodi Di Menna
Les changements climatiques amènent l’opossum dans l’immensité blanche
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Une menace qui nous rejoint La myéloencéphalite à protozoaires est une maladie potentiellement mortelle pour les chevaux. Le parasite qui cause la maladie attaque le système neurologique. Dans les cas avancés, le cheval perd la capacité d’avaler et de se tenir debout; il doit donc être euthanasié. Quel lien avec les opossums? Les chats, les mouffettes, les tatous, les ratons laveurs et les loutres de mer sont infectés par le parasite à une certaine étape de son développement. Quand un opossum se nourrit de la carcasse d’un de ces animaux, le protozoaire se développe dans son intestin pour atteindre le stade où il est toxique pour les chevaux. Les excréments d’opossums peuvent ensuite contaminer le foin, les céréales, les pâturages et l’eau à boire des chevaux. Redoutée des propriétaires de chevaux américains depuis longtemps, la maladie devient plus fréquente au Canada. —JD |
Au cours des 15 à 20 dernières années, « nous recevions des renseignements non scientifiques relatifs à l’expansion de cette espèce vers le nord, vers l’Ontario », dit Merilyn Twiss du ministère ontarien des Richesses naturelles. « Un club de naturalistes ajoute la photo d’un opossum dans son site web, ou quelqu’un se présente dans un bureau de district et déclare qu’il a trouvé un opossum dans son garage. »
Normalement, la limite septentrionale de l’aire de distribution des opossums se situe bien au sud de la frontière. « On a des témoignages des années 1930 et 1940 d’observations d’opossums dans le coin extrême sud-ouest de l’Ontario », raconte Twiss, ajoutant que, dans ces rapports, on qualifie ces observations de « très rares et inhabituelles. Je crois que c’est seulement dans les 30 dernières années que les choses ont commencé à changer. »
En janvier 2008, Twiss a lancé un programme de recherche pour mieux documenter la question. Son équipe a épluché des compilations de récolte de fourrures pour trouver quand des opossums ont été capturés accidentellement par des trappeurs : la fourrure d’opossum est clairsemée et n’a pas beaucoup de valeur, mais le marsupial se retrouve parfois dans des pièges destinés à d’autres espèces. On a aussi fouillé les archives de campagnes de vaccination contre la rage puisque la province lance parfois des programmes de captures d’animaux vivants à des fins de vaccination.
Puisque les opossums sont vecteurs de la myéloencéphalite équine à protozoaires, qui tue les chevaux, l’équipe de Twiss cherche aussi à savoir s’il existe un lien direct entre les flambées de la maladie et la présence des opossums. (Voir l’encadré « Une menace qui nous rejoint ».) Le projet en étant à ses débuts, on n’a pas encore de résultats à communiquer.
Phil Myers, de l’Université du Michigan, s’intéresse aux mêmes questions dans son État et ce qu’il a trouvé tendrait à prouver les ouï-dire qui ont piqué la curiosité de Twiss. Son équipe s’est intéressée aux informations associées à des spécimens récoltés pour des collections muséologiques et les a recoupées avec ses propres données, y compris les coordonnées que Myers recueille par GPS quand il voit un opossum tué au bord de la route.
« Il y a cent ans, les opossums étaient strictement confinés à l’extrémité sud de l’État, explique Myers. Pendant le 20e siècle, ils sont montés vers le nord, très lentement. Mais à partir des années 1970 et 80, leur population a explosé dans le nord du Michigan. » Pourquoi les opossums se déplacent-ils vers le nord? Twiss et Myers soupçonnent tous les deux que le réchauffement des températures y est pour quelque chose, en particulier parce que les opossums ne sont pas vraiment habillés pour affronter l’hiver ontarien ou michiganais.
Par exemple, ils ont relativement peu de poils sur la queue, les oreilles et le nez, dit Twiss. « Ils semblent très sensibles au froid; on a donc l’impression que les conditions hivernales devraient limiter l’expansion de leur population. Ils ne sont pas capables de passer l’hiver s’il fait vraiment froid ou si la neige est épaisse. Nous croyons que le climat a une incidence très forte. »
Pour vérifier un lien possible entre la migration des opossums et les hivers plus chauds, l’équipe de Twiss recoupe ses données avec des statistiques météorologiques pour voir s’il y a chevauchement. Myers croit que les changements dans l’utilisation des sols ont aussi encouragé les déplacements des opossums vers le nord puisqu’ils sont capables, en particulier, de s’adapter à des environnements urbains et suburbains. Ils peuvent se nourrir des carcasses d’animaux tués le long des routes et dans les dépotoirs, et trouver refuge dans les granges et les cabanons.
« Nous avons créé des micro-environnements où les opossums ont plus de facilité à trouver de la nourriture pendant l’hiver et des lieux où ils peuvent s’abriter par temps froid », dit Myers, qui souligne que les marsupiaux n’auraient pas pu étendre leur territoire de manière si radicale sans un réchauffement du climat.
Aucun des deux chercheurs n’est certain de la signification, en termes de concurrence écologique, de la migration des marsupiaux vers le nord. Puisqu’ils sont actifs en hiver, ils pourraient pénétrer dans les terriers d’espèces en hibernation pour s’en nourrir. D’autre part, ils peuvent contribuer à contrôler les populations de rongeurs et d’insectes, et à nettoyer les abords des routes des carcasses d’animaux tués. « Nous ne savons pas quel impact aura l’augmentation de la population d’opossums sur les écosystèmes ontariens. Ces petits animaux soulèvent beaucoup de questions intéressantes », conclut Twiss.